Maman, j’ai peur.

Il y a une semaine je vous faisais part ici de ma désolation face à cette société qui me paraît malade.

Il y a trois jours , je pestais encore parce que je devais payer ma taxe d’habitation et faire un chèque de 180 € pour payer la cantine.

Marre de me faire plumer disais-je.

Ce matin,  j’ai tout payé, en silence, sans même un soupir.

Je ne peux pas me plaindre, je n’en ai pas le droit.

Depuis , il y a eu le 13 novembre.

Je n’ai pas payé de ma vie, moi.

Il y a eu trop de victimes, trop de rêves et de familles brisés, des gens qui étaient là juste pour célébrer.

Après le 7 janvier.

Ici, tout va bien.

En fait, non, je corrige, nous sommes tous en vie.

Ici, tout va plutôt mal.

Mon ado tient des propos surréalistes, il ne comprend pas, il juge les mauvaises personnes, celles qui ne le sont pas.

Il ne veut pas retourner au collège, il a peur.

Il a peur d’eux dit-il.

Mais de qui ?

« Des musulmans maman, il y en a beaucoup dans mon école. »

« Et alors ? »

«  Et alors, je sais qu’ils vont dire que c’est bien fait pour nous. »

Voilà.

L’amalgame est le pire ennemi qui soit et il est là, bien encré, vicieux et sordide, s’infiltrant tel un poison dans chaque faille qu’il s’empresse de détecter.

Il vient d’avoir 14 ans, mon ado.

Je ne vais pas relayer ce que je lis ici ou là-bas, ce que j’entends murmurer tout bas.

Il n’est pas le seul à faire cet amalgame, non, malheureusement, ne nous voilons pas la face.

Ce ne sont pourtant pas des propos que nous tenons à la maison, oh que non.

Ces chiens galeux qui ont frappé une nouvelle fois notre pays sèment la terreur et la confusion dans les esprits.

Des esprits qui ont besoin de réponses rationnelles, de faits compréhensibles.

Parce que tout cela est un cauchemar et on ne veut pas y croire.

On ferme les yeux, on baille, on s’étire, on se demande si on n’a pas rêvé.

Est-ce que c’est vraiment arrivé ?

Le drapeau français en berne, la Grande Dame éteinte, les messages des amis qui prennent des nouvelles, ces images qui tournent en boucle, ces avis de recherche qui nous prennent aux tripes.

Il y a ce joueur de piano hier, qui en hommage aux victimes a joué « Imagine ».

Il y a Placido Domingo, qui avant sa représentation à l’Opéra de New York, chante la Marseillaise avec émotion.

Oui, c’est bien arrivé.

Alors j’essaie de lui expliquer en vain que non, ces hommes et ces femmes n’agissent pas au nom de Allah.

J’essaie de lui crier que non, « Allah le très-Haut » ne donne pas puissance et victoire à ces individus et ne facilite certainement pas la réalisation de ces infâmes tueries.

J’essaie de lui souffler que non, il n’y a pas raison d’avoir peur bien que je n’y crois pas vraiment.

Nous sommes en guerre, orphelins de toutes ces vies volées, perdus dans ce brouillard, titubant comme des enfants qui font leurs premiers pas.

Des élans de solidarité nous réchauffent le cœur quelques instants.

Des bougies allumées par milliers, essaient de faire revenir la lumière.

Tout à coup nous sommes tous frères et nous nous sourions même, timidement, solidaires dans cette peine qui nous touche tous.

Nous donnons notre sang en masse, comme pour stopper cette hémorragie et faire oublier celui qui s’est trop déversé, de sang, vendredi soir.

Mais pouvons-nous vraiment quelque chose face à terreur qui nous paralyse malgré tout?

Nous nous sentons impuissants, dénudés, démunis face à cette menace qui semble plus que jamais peser sur nous.

Dire que nous n’avons pas peur ? Le croyons-nous vraiment ?

Nous n’avons pas de kalachnikovs, de fusils à pompe, de grenades meurtrières.

Certes. Et heureusement.

Mais nous avons les mots.

Les mots pour combattre l’ignorance, la méchanceté, ces propos ignobles qui sifflent à nos oreilles, ce dangereux amalgame.

Un musulman n’est pas un terroriste, nous devons le prêcher.

C’est mon travail avec les miens, ma petite contribution à cette guerre contre l’aveuglement, l’ânerie, l’inculture, l’insuffisance, l’obscurantisme profond.

La stigmatisation ne doit pas être française.

Des français, nous préférons lire ces quelques lignes du New York Times, légères et parfumées (merci Adrien pour le partage) :

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Mon combat à moi, c’est ne plus entendre « Maman, j’ai peur ».

Je n’ai plus de mots.

Merci à tous. #PRAYFORPARIS

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10 réflexions sur “Maman, j’ai peur.

  1. Tu as bien résumé la situation. Courage avec ton ado…ce n’est vraiment pas facile d’expliquer l’inexplicable et de faire comprendre à nos enfants que tout cela n’est du qu’à une minorité extrémiste et qu’il n’est pas question de race ou de religion mais de pure folie ! J’espère que tu arriveras à l’apaiser…Prends soin de toi et de ta famille.

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  2. quel bel article! je comprends la réaction de ton ado, comme tu le soulignes, il n’est hélas pas le seul à faire d’amalgames, je pense qu’en de tels événements, il faut rester souder, solidaire et se soutenir les uns les autres, les amalgames ne font que nous diviser et c’est ce  »qu’ils  » veulent….

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  3. Je te souhaite beaucoup de courage et de patience avec ton adresse. Ce n’est pas facile mais vous êtes là pour lui. Et même si ça te semble long, il finira par comprendre. Peut-être même demain, quand il retournera au collège et qu’il verra tous ses camarades, sans exception, attristés par les événements de vendredi. Car, là, il faut se rappeler une chose: ils ont tiré dans le tas, sans distinction de couleur ou de religion.

    Prends bien soin de vous.

    Bises

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  4. Lundi, les débats vont être houleux dans les écoles… j’ai pu voir que de nombreux amis profs se préparaient à aborder ces atrocités avec leurs élèves… éviter à tout prix tous les amalgames, éviter les pseudos théories du complots… éduquer, développer l’esprit critique des jeunes, les tenir loin de l’obscurantisme… je pense bien à toi ❤

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  5. Pas facile pour les jeunes de comprendre. Il faut en parler, en parler avec eux, essayer de voir d’où ces idées viennent, comment les changer, comment leur faire comprendre que ces actes sont ceux de fous, d’hommes transformés en monstres.
    C’est un travail d’équipe, parents, enseignants et tout adulte en contact avec ces enfants, ces jeunes qui se posent des questions. Un moyen aussi pour nous de mettre des mots sur des choses incompréhensibles.

    Prends soin de toi et des tiens Cristina. Je pense bien fort à toi.

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