Laissez-nous le choix.

Si vous avez réussi à faire abstraction du déversement médiatique autour de – encore et toujours – « l’affaire Benala », vous n’avez pas pu passer à côté du nouveau 11 septembre.

Pas de tours qui s’écroulent, pas de milliers de morts, pas de déclaration de guerre.

Quoi que.

Le 11 septembre dernier, Bertrand De Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues obstétriciens, comparait l’avortement à un homicide. Position plus que controverse, quand on représente une profession comme la sienne.

« Moi je fais un métier avec mes tripes. Je me lève à n’importe quelle heure la nuit. Je fais des opérations très difficiles avec mes tripes. Donc aux choses auxquelles je ne crois pas, je ne les fais plus. Nous, nous ne sommes pas la pour retirer des vies. », déclarait-il au micro du Quotidien.

Indignée par ces propos, j’ai souhaité réagir instantanément mais nombreux ont été ceux qui l’ont fait avant moi.

Bien ou mal, beaucoup se sont exprimés sur le sujet et je ne pensais pas enrichir le débat outre mesure en offrant mon humble opinion.

Tout avait été dit : l’entrave à la liberté de pouvoir accéder librement à l’IVG, les positions de l’église ou autres religions, les viols, les maladies détectées in utero, les erreurs, les oublis, les peurs, les regrets, les incertitudes, les imprévus, les femmes qui n’ont pas la chance de pouvoir tomber enceinte, les défaillances et j’en passe, bien évidemment.

Puis, comme souvent, ce sont de riches échanges avec d’autres personnes, sur des situations bien concrètes qui m’ont offert un rendez-vous avec ma conscience.

On a bu un verre, puis deux, toutes les deux face au soleil couchant. Et on s’est rappelé…

J’ai passé mes dernières soirées à répondre à des mails de lectrices (c’est une réalité, que des femmes).

Une question revenait souvent dans ces messages.

Est-ce que Juliette, l’héroïne de mon livre, avait vraiment subi un avortement et si oui comment le vivait-elle aujourd’hui ?

Vous l’aurez compris, Juliette et moi, on se connaît très bien.

Et bien, oui, si fiction et réalité se mélangent, cet épisode marqué au fer rouge pour une multitude de raisons, a bien existé.

S’il apparaît comme une triste et difficile épreuve, je dois dire que Juliette peut affirmer sans aucune difficulté, que oui, et heureusement qu’il a existé.

Quand Juliette découvre qu’elle est enceinte, c’est le cataclysme.

Enfermée dans la relation toxique et éprouvante où elle a laissé presque toutes ses plumes – la poulette – elle se dirigeait, titubante, vers la porte de sortie.

S ‘enfuir était la seule issue.

J’entends déjà les voix s’indigner.

Comment tombe-t-on enceinte d’un homme qu’on veut fuir ?

Pourquoi ne pas avoir pris ses précautions ?

Les choses ne sont pas aussi simples.

Tout n’est pas blanc ou noir.

On ne maîtrise pas toujours avec excellence ses émotions, les sentiments souvent irrationnels, la passion ambivalente et déchirante.

L’incompréhensible, l’inexplicable.

Fragilisée et malade, Juliette ne pouvait pas se permettre de nouer un nouveau lien indéfectible avec le bourreau de son âme.

Ça aurait été la corde au cou pour celle qui avait déjà eu envie de se foutre en l’air.

Quand Juliette appelle sa gynécologue pour lui annoncer sa grossesse et lui demander de l’aide, elle se prend sa première claque.

« Je ne fais pas ça, moi », lui répond la spécialiste de l’intimité féminine.

Juliette crie au secours. Elle est orientée vers un autre médecin, homme, qui lui, pourra le faire.

Lors de cette consultation avec son sauveur, lui aussi, lui déclame avec noblesse qu’il n’a pas embrassé cette profession pour pratiquer ces actes. Comme le Docteur de Rochambeau.

Je m’en doute, on s’en doute tous d’ailleurs.

Même Paul Spector le psychopathe et héros de la série « The fall », ne fait pas de mal aux enfants.

Humour malvenu ? Il faut bien dédramatiser.

Mais ce médecin a écouté Juliette lui livrer son histoire. Il a compris son désarroi, il a entendu ses supplications. Il a lu entre les lignes et a saisi l’urgence de rendre sa liberté à la patiente. Manque de bol, le seul jour disponible dans son calendrier était celui de son anniversaire.

Peu importait.

Et c’est peut-être en ôtant la vie qu’il a donné une chance à Juliette de reprendre la sienne en main et de détacher un peu plus la corde.

Son destin n’a pas été celui de la chèvre de Monsieur Seguin ; elle n’a pas été mangée par le loup mais s’en est éloignée.

J’ai donc répondu à mes lectrices que pas un seul instant Juliette ne le regrettait.

Juliette a fait depuis un long chemin, et a pu se reconstruire, certes le ventre vide, mais le cœur désormais plein.

Et je suis là pour en témoigner aujourd’hui.

Alors Monsieur De Rochambeau, avec tout le respect que je dois à votre profession, laissez-moi vous dire que vous ne pouvez proférer un tel jugement sans conséquences.

Vous ne pouvez pas tenir des propos qui condamnent des milliers de femmes, qui les font culpabiliser, qui les font douter qu’elles ont le choix.

Chaque situation est unique, chaque cas est une histoire différente, chaque femme a le droit sur son corps, sur sa vie, sur ses actes.

Marceline Loridan- Ivens a rejoint hier son amie de toujours, et pour toujours, Simone Veil, icône intemporelle de la lutte contre la discrimination aux femmes.

Elle a du lui raconter les potins, les chaleurs de l’été, Trump, Paris-Plage, le nouveau livre dingue d’Olivier Liron, et surtout, elle a du lui transcrire avec colère, vos malheureuses paroles.

J’espère qu’elle descendra vous gronder et que vous réfléchirez…essayez donc de vous mettre un tout petit instant à la place des femmes.

On en rediscute ?

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7 réflexions sur “Laissez-nous le choix.

  1. Je ne peux qu’être d’accord avec tes propos ! Tes mots sont justes et la colère grandit face à ces propos. Comme tu le dis si bien : « Chaque situation est unique, chaque cas est une histoire différente, chaque femme a le droit sur son corps, sur sa vie, sur ses actes. »

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  2. Tout est juste ma belle.
    S’est-il rendu compte de ses mots? Même pas sûre et c’est peut-être ça le pire.
    Chaque histoire est différente et chaque demande devrait être écoutée, entendue. Un avortement c’est une décision importante et les femmes le savent. Combien de vies sauvées depuis l’IVG. Pour moi il n’y a que cela qui compte, le choix de la femme.
    Je t’embrasse et merci d’en avoir parlé. Il faut en parler.

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  3. Pour moi, ils ne sont pas là pour donner la vie mais pour accompagner une grossesse jusqu’à son terme. Que le terme soit un accouchement ou un avortement et il faudrait peut être qu’ils l’intègrent dans leurs cursus, avant de s’engager dans cette voie si ça les dérange tellement de pratiquer les avortements…

    Et comme tu le dis chaque situation est différente, chaque cas unique et il serait grand temps de l’intégrer.

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  4. Je trouve ton article très juste, tu le dit très bien : chaque situation et différente et juger une femme qui prend cette décision est une preuve d’intolérance et d’incompréhension totale des enjeux qui gravitent autour de l’avortement.
    Loin de moi l’idée de défendre le Dr de Rochambeau mais quelque part je le comprends, si pratiquer un IVG lui est insupportable, il me semble inhumain de lui imposer. En revanche là où je ne suis absolument pas d’accord avec ses propos c’est qu’il englobe toute la profession. Sa force est peut-être de s’opposer à l’IVG (quoique très discutable car c’est tout de même la loi) mais la force d’autres gynécologues sera justement de trouver les ressources pour accompagner toutes celles qui en ont besoin et c’est tellement injuste de sa part de donner l’impression d’un retour en arrière qui ferait de ces professionnels des marginaux qui n’auraient choisi ce métier que pour pratiquer des IVG.
    Merci pour ton témoignage

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  5. Hello Cristina,

    C’est un homme donc ce n’est pas à lui de décider ce qui est bien ou pas pour les femmes… Et pis, c’est tout ! (je suis moi-même un homme comme tu le sais – j’dis ça pour tes lectrices, qui, si elles en doutent, il y a aussi des hommes qui ne pensent pas comme ce médecin).

    Toujours un plaisir de te lire.

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  6. Tes mots sont très justes et ça fait du bien de lire ce type de textes sur la blogosphère (et d’ailleurs les débats et réflexions s’y font de manière un peu plus posée que sur les réseaux sociaux j’ai l’impression)

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